Les livres de Mongo Beti, René Philombe, Ferdinand Léopold Oyono, Engelbert Mveng, Gaston Kelman, entre autres, sont rares dans les rayons. –
Pour les jeunes qui n’ont pas lu «Le vieux nègre et la médaille» (1956) de Ferdinand Léopold Oyono, les témoignages élogieux de leurs parents sur cette œuvre suscitent souvent une envie immédiate de se diriger vers la libraire la plus proche. Mais en général, en demandant ce livre dans des libraires, la réponse est presque la même. Comme celle qui nous a été donnée mardi dernier à la librairie Peuples noirs à Yaoundé : «Ce livre n’est pas disponible pour le moment, on l’a commandé à Douala. Revenez au moins dans deux semaines», explique la libraire. Ce premier rendez-vous est souvent suivi d’un deuxième, puis d’un énième, jusqu’à ce que, las de promesses non tenues, le libraire rétorque finalement à son client qu’il est en rupture de stock.
La pénurie de la mythique œuvre de Ferdinand Léopold Oyono n’est pas un cas isolé. La librairie des Peuples noirs créée par Mongo Beti n’abonde pas non plus en livres de son fondateur. En effet, bien qu’un rayon y soit aménagé pour exposer les livres d’Eza Boto, le nombre d’exemplaires disponibles pour chaque titre dépasse rarement cinq. Ces exemplaires sont d’ailleurs, pour la plupart, commandés depuis l’Europe, proportionnellement à la maigre demande de quelques lecteurs. Comme quoi, les librairies Clé et Peuples noirs qui ont la réputation de disposer de quelques ouvrages de grands écrivains camerounais sont approvisionnées de manière stratégique et restreinte.

«Le fonctionnement du livre obéit à la loi de l’offre et de la demande. S’il y a une demande avérée et consistante, aucun éditeur ne devrait hésiter à la satisfaire. Le problème que nous, les éditeurs avons très souvent, est que quand les livres sont épuisés, des gens demandent des exemplaires au compte-gouttes (1, 2, à 5 exemplaires). Pourtant, pour nous, aller démarrer les machines pour produire 20 ou 50 exemplaires, c’est risqué, parce que le coût à l’unité est énorme», explique Vincent de Paul Lele, responsable du service édition à Clé.
Réédition
Pour cet éditeur, la rareté des titres de grands auteurs (en vie ou décédés) est corolaire à la maigre demande dans les libraires. «En réalité, le marché de l’édition rapporte mieux quand on produit en quantité industrielle. Si vous faites par exemple 10.000 exemplaires d’un ouvrage, son prix unitaire peut-être de 500 Fcfa. Si par contre vous faites le même ouvrage en 100 exemplaires, son prix unitaire peut se retrouver à 5.000 Fcfa. A ce moment-là, il devient économiquement inintéressant pour un éditeur d’investir autant d’argent quand il ne gagnera pratiquement rien», ajoute Vincent de Paul Lele. Au rayon « Littérature négro-africaine » de la librairie Clé-équinoxe à Yaoundé, quelques livres d’écrivains camerounais de renom sont disponibles, même si la plupart d’entre eux ont été réédités Outre-Atlantique.
En effet, la réédition d’un livre met en jeu de nouveaux paramètres juridiques et économiques entre l’éditeur et l’auteur ou ses ayants-droits (en cas de décès). Il faut éventuellement redonner une nouvelle physionomie au livre et surtout procéder à la signature d’un nouveau contrat d’édition. Mais en cas de simple réimpression du livre, l’éditeur peut décider librement de la faire en informant juste les ayants-droits de l’auteur du fait qu’il y aura d’autres exemplaires de l’ouvrage sur le marché. Bien que le problème de la disponibilité des livres des auteurs camerounais connus soit aussi présent du vivant de ces derniers, le besoin se pose de manière plus accrue lorsque dame mort s’en mêle.
Impression
Et là, l’implication des proches ayant bénéficié des droits patrimoniaux de l’auteur est souvent relativement appréciable. Entre indifférence vis-à-vis du monde littéraire et non appropriation de la passion des écrivains, certains ayants-droits, pourtant détenteurs du quitus de réédition des livres d’un auteur disparu, ne veillent pas souvent à assurer sa disponibilité dans les librairies. Si dans certaines librairies et bibliothèques, quelques livres de Mongo Beti, Gaston Kelman, Ferdinand Leopold Oyono, Engelbert Mveng, Delphine Tsanga, Eboussi Boulaga, Sévérin Cécile Abega et autres grands noms sont présents, d’autres librairies n’ont tout simplement pas de traces de ces auteurs.
«Toutes les librairies ne peuvent pas disposer de livres de grands auteurs au même niveau. Ici (à la librairie Clé, Ndlr) on peut encore trouver les livres des grands écrivains camerounais. Mais dans des librairies relativement plus petites, vous n’en trouverez presque jamais, parce que les auteurs ou leurs ayants-droits viennent déposer des livres où ils savent qu’ils seront achetés», nuance Samuel Sobgoum, libraire à Clé. Mais, pour les plus petites librairies, l’indisponibilité des œuvres de grands écrivains relève d’un certain manque de coordination entre auteurs, éditeurs et libraires. «99% des livres que nous vendons ici sont rédigés pas des étrangers. Ce qui se passe, c’est que contrairement aux grandes structures comme Clé, nous, les petites librairies, ne savons pas quoi faire pour avoir plus de 60% des livres de auteurs camerounais», se plaint Joseph Stéphane Tasse, libraire à la librairie Fe Tchuente à Yaoundé.
Franck Evina
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