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Chinois au Cameroun : une incompréhension foncière

Cela fait maintenant trois ans que l’État camerounais a cédé 10 000 ha de terres agricoles à Sino Cam Iko, une multinationale chinoise spécialisée dans la production, la transformation et la commercialisation de produits agricoles. Son implantation s’est faite sur trois sites : deux dans le Centre (2 000 ha à Nanga-Eboko et 4 000 ha à Ndjoré) et un à l’Ouest à Santchou sur 4 000 ha).  Dès l’accord obtenu pour exploiter ces terres pendant 99 ans, les investisseurs chinois ont lancé des cultures expérimentales sur le riz, mais aussi sur le maïs et des fruits et légumes à Nanga-Eboko (170 km au nord-est de Yaoundé) et sur le manioc à Ndjoré (100 km de la capitale). Zhao, le directeur par intérim de cette société, se réjouit aujourd’hui des premiers résultats. « Ces deux zones sont propices à la culture de toutes sortes de variétés de riz, de maïs, de féculents et même de plantes maraîchères, à cause du climat, de la disponibilité de l’eau et de son sol très fertile ». L’essentiel des premières récoltes servira de semences pour les prochaines cultures. À Nanga-Eboko, une faible partie se retrouve cependant sur les marchés à un prix relativement inférieur aux mêmes produits importés.

Cette réussite agronomique, présente ou annoncée, ne suffit pas cependant à assainir le climat d’incompréhension qui règne entre Sino Cam et les habitants de la région qui l’accusent, entre autres, d’exploiter son personnel. La société emploie en permanence une dizaine de Chinois. On les voit au champ, occupés à désherber, labourer, repiquer, récolter… Quelques Camerounais, recrutés au coup par coup et payés à la journée, les assistent parfois. « Travailler pour ces gens, c’est travailler sans relâche sous le soleil, la pluie pendant huit à dix heures chaque jour pour 1 000 Fcfa », (1,5 €) se plaint un habitant de Nanga-Eboko. Moins que le SMIG fixé à 28 216 Fcfa (43 €) par mois au Cameroun.

« Interdit de toucher à la moindre papaye qui traîne, récrimine un taxi-moto qui n’a que brièvement travaillé dans cette ferme. Si vous êtes pris avec une poignée de riz dans votre sac, vous êtes conduit directement au commissariat pour vol. » Sino Cam se défend de toute exploitation. « Nous sommes encore en phase d’expérimentation et nous demandons aux ouvriers de travailler beaucoup pour gagner plus, mais ils préfèrent tricher. Ils disent eux-mêmes qu’ils sont là pour chercher de l’argent alors qu’il faut aussi penser travailler pour faire progresser l’entreprise », argumente Zhao. Un raisonnement économique qui a peu de chance de convaincre des gens qui, pour beaucoup, vivent depuis des années de la débrouille et n’ont aucun sens de l’entreprise.

Certains habitants manifestent leur opposition en boudant les produits issus de la ferme. « Je n’achète pas leur riz même s’ils le vendent un peu moins cher que le riz importé. C’est ma manière à moi de dénoncer leur présence », lance une restauratrice. D’autres critiquent la qualité du « riz chinois » qui tiendrait mal à la cuisson. Il n’empêche que tous les produits de Sino-Cam finissent par trouver preneur.

Manque de transparence

Au bout de trois ans, la présence des Chinois reste un sujet épineux à Nanga-Eboko. Son maire, Romain Roland Eto, avoue être « très embêté » chaque fois qu’il est sollicité pour en parler, « d’abord, dit-il, parce que la mairie et encore moins [mes] administrés n’ont pas été associés ou consultés avant la cession. » Et c’est là où le bât blesse. Au Cameroun, la cession des terres par l’État se fait en général sous le sceau du secret. Ce manque de transparence et d’information des populations riveraines ne peut qu’empoisonner dès le départ les relations entre elles et l’acquéreur.

L’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (ACDIC) va plus loin. Pour elle, ces cessions sont dangereuses et représentent une menace pour la souveraineté alimentaire du pays. « Lorsque des terres sont cédées aux nationaux d’un pays, je suis convaincu qu’ils n’importeront pas de main d’œuvre ni n’exporteront le produit de leurs récoltes. La production sera automatiquement écoulée sur le marché local. Avec les étrangers, Occidentaux, Chinois ou Indiens, nous n’avons aucune de ces garanties », dénonce Bernard Njonga, son président. L’ACDIC a organisé en juillet-août dernier des débats sur la question à Douala et Yaoundé et lancé un appel citoyen contre les cessions de terres aux étrangers.

Malgré cette opposition tous azimuts, un cadre du ministère de l’Agriculture et du développement rural, qui préfère garder l’anonymat, persiste et signe. « L’État pense à la population avant de prendre la moindre décision, assure-t-il, et l’arrivée des Chinois est une très bonne chose. Avec le temps, ceux qui se plaignent aujourd’hui s’en rendront compte. » La production de riz au Cameroun par les Chinois devrait, selon lui, contribuer à réduire les importations : 400 000 t par an pour une production locale de 50 000 t.

Reste une inconnue : le riz produit sur ces 10 000 ha restera-t-il au Cameroun ou sera-t-il massivement exporté vers la Chine comme le craignaient au départ les gens sur place ? « Nous allons vulgariser le moment venu les variétés très performantes que nous produisons dans tout le pays et même dans toute l’Afrique afin d’aider les populations locales à satisfaire leurs besoins alimentaires et augmenter leurs revenus », déclare Zhao qui promet que toute la production sera transformée ou commercialisée sur place, comme le mentionnerait le cahier des charges. Cette promesse suffira-t-elle à faire taire la méfiance des Camerounais alimentée par le manque de transparence ?

Charles Nforgang (Syfia Cameroun)

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Chinois au Cameroun : une incompréhension foncière

Cela fait maintenant trois ans que l’État camerounais a cédé 10 000 ha de terres agricoles à Sino Cam Iko, une multinationale chinoise spécialisée dans la production, la transformation et la commercialisation de produits agricoles. Son implantation s’est faite sur trois sites : deux dans le Centre (2 000 ha à Nanga-Eboko et 4 000 ha à Ndjoré) et un à l’Ouest à Santchou sur 4 000 ha).  Dès l’accord obtenu pour exploiter ces terres pendant 99 ans, les investisseurs chinois ont lancé des cultures expérimentales sur le riz, mais aussi sur le maïs et des fruits et légumes à Nanga-Eboko (170 km au nord-est de Yaoundé) et sur le manioc à Ndjoré (100 km de la capitale). Zhao, le directeur par intérim de cette société, se réjouit aujourd’hui des premiers résultats. « Ces deux zones sont propices à la culture de toutes sortes de variétés de riz, de maïs, de féculents et même de plantes maraîchères, à cause du climat, de la disponibilité de l’eau et de son sol très fertile ». L’essentiel des premières récoltes servira de semences pour les prochaines cultures. À Nanga-Eboko, une faible partie se retrouve cependant sur les marchés à un prix relativement inférieur aux mêmes produits importés.

Cette réussite agronomique, présente ou annoncée, ne suffit pas cependant à assainir le climat d’incompréhension qui règne entre Sino Cam et les habitants de la région qui l’accusent, entre autres, d’exploiter son personnel. La société emploie en permanence une dizaine de Chinois. On les voit au champ, occupés à désherber, labourer, repiquer, récolter… Quelques Camerounais, recrutés au coup par coup et payés à la journée, les assistent parfois. « Travailler pour ces gens, c’est travailler sans relâche sous le soleil, la pluie pendant huit à dix heures chaque jour pour 1 000 Fcfa », (1,5 €) se plaint un habitant de Nanga-Eboko. Moins que le SMIG fixé à 28 216 Fcfa (43 €) par mois au Cameroun.

« Interdit de toucher à la moindre papaye qui traîne, récrimine un taxi-moto qui n’a que brièvement travaillé dans cette ferme. Si vous êtes pris avec une poignée de riz dans votre sac, vous êtes conduit directement au commissariat pour vol. » Sino Cam se défend de toute exploitation. « Nous sommes encore en phase d’expérimentation et nous demandons aux ouvriers de travailler beaucoup pour gagner plus, mais ils préfèrent tricher. Ils disent eux-mêmes qu’ils sont là pour chercher de l’argent alors qu’il faut aussi penser travailler pour faire progresser l’entreprise », argumente Zhao. Un raisonnement économique qui a peu de chance de convaincre des gens qui, pour beaucoup, vivent depuis des années de la débrouille et n’ont aucun sens de l’entreprise.

Certains habitants manifestent leur opposition en boudant les produits issus de la ferme. « Je n’achète pas leur riz même s’ils le vendent un peu moins cher que le riz importé. C’est ma manière à moi de dénoncer leur présence », lance une restauratrice. D’autres critiquent la qualité du « riz chinois » qui tiendrait mal à la cuisson. Il n’empêche que tous les produits de Sino-Cam finissent par trouver preneur.

Manque de transparence

Au bout de trois ans, la présence des Chinois reste un sujet épineux à Nanga-Eboko. Son maire, Romain Roland Eto, avoue être « très embêté » chaque fois qu’il est sollicité pour en parler, « d’abord, dit-il, parce que la mairie et encore moins [mes] administrés n’ont pas été associés ou consultés avant la cession. » Et c’est là où le bât blesse. Au Cameroun, la cession des terres par l’État se fait en général sous le sceau du secret. Ce manque de transparence et d’information des populations riveraines ne peut qu’empoisonner dès le départ les relations entre elles et l’acquéreur.

L’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (ACDIC) va plus loin. Pour elle, ces cessions sont dangereuses et représentent une menace pour la souveraineté alimentaire du pays. « Lorsque des terres sont cédées aux nationaux d’un pays, je suis convaincu qu’ils n’importeront pas de main d’œuvre ni n’exporteront le produit de leurs récoltes. La production sera automatiquement écoulée sur le marché local. Avec les étrangers, Occidentaux, Chinois ou Indiens, nous n’avons aucune de ces garanties », dénonce Bernard Njonga, son président. L’ACDIC a organisé en juillet-août dernier des débats sur la question à Douala et Yaoundé et lancé un appel citoyen contre les cessions de terres aux étrangers.

Malgré cette opposition tous azimuts, un cadre du ministère de l’Agriculture et du développement rural, qui préfère garder l’anonymat, persiste et signe. « L’État pense à la population avant de prendre la moindre décision, assure-t-il, et l’arrivée des Chinois est une très bonne chose. Avec le temps, ceux qui se plaignent aujourd’hui s’en rendront compte. » La production de riz au Cameroun par les Chinois devrait, selon lui, contribuer à réduire les importations : 400 000 t par an pour une production locale de 50 000 t.

Reste une inconnue : le riz produit sur ces 10 000 ha restera-t-il au Cameroun ou sera-t-il massivement exporté vers la Chine comme le craignaient au départ les gens sur place ? « Nous allons vulgariser le moment venu les variétés très performantes que nous produisons dans tout le pays et même dans toute l’Afrique afin d’aider les populations locales à satisfaire leurs besoins alimentaires et augmenter leurs revenus », déclare Zhao qui promet que toute la production sera transformée ou commercialisée sur place, comme le mentionnerait le cahier des charges. Cette promesse suffira-t-elle à faire taire la méfiance des Camerounais alimentée par le manque de transparence ?

Charles Nforgang (Syfia Cameroun)

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Chinois au Cameroun : une incompréhension foncière

Cela fait maintenant trois ans que l’État camerounais a cédé 10 000 ha de terres agricoles à Sino Cam Iko, une multinationale chinoise spécialisée dans la production, la transformation et la commercialisation de produits agricoles. Son implantation s’est faite sur trois sites : deux dans le Centre (2 000 ha à Nanga-Eboko et 4 000 ha à Ndjoré) et un à l’Ouest à Santchou sur 4 000 ha).  Dès l’accord obtenu pour exploiter ces terres pendant 99 ans, les investisseurs chinois ont lancé des cultures expérimentales sur le riz, mais aussi sur le maïs et des fruits et légumes à Nanga-Eboko (170 km au nord-est de Yaoundé) et sur le manioc à Ndjoré (100 km de la capitale). Zhao, le directeur par intérim de cette société, se réjouit aujourd’hui des premiers résultats. « Ces deux zones sont propices à la culture de toutes sortes de variétés de riz, de maïs, de féculents et même de plantes maraîchères, à cause du climat, de la disponibilité de l’eau et de son sol très fertile ». L’essentiel des premières récoltes servira de semences pour les prochaines cultures. À Nanga-Eboko, une faible partie se retrouve cependant sur les marchés à un prix relativement inférieur aux mêmes produits importés.

Cette réussite agronomique, présente ou annoncée, ne suffit pas cependant à assainir le climat d’incompréhension qui règne entre Sino Cam et les habitants de la région qui l’accusent, entre autres, d’exploiter son personnel. La société emploie en permanence une dizaine de Chinois. On les voit au champ, occupés à désherber, labourer, repiquer, récolter… Quelques Camerounais, recrutés au coup par coup et payés à la journée, les assistent parfois. « Travailler pour ces gens, c’est travailler sans relâche sous le soleil, la pluie pendant huit à dix heures chaque jour pour 1 000 Fcfa », (1,5 €) se plaint un habitant de Nanga-Eboko. Moins que le SMIG fixé à 28 216 Fcfa (43 €) par mois au Cameroun.

« Interdit de toucher à la moindre papaye qui traîne, récrimine un taxi-moto qui n’a que brièvement travaillé dans cette ferme. Si vous êtes pris avec une poignée de riz dans votre sac, vous êtes conduit directement au commissariat pour vol. » Sino Cam se défend de toute exploitation. « Nous sommes encore en phase d’expérimentation et nous demandons aux ouvriers de travailler beaucoup pour gagner plus, mais ils préfèrent tricher. Ils disent eux-mêmes qu’ils sont là pour chercher de l’argent alors qu’il faut aussi penser travailler pour faire progresser l’entreprise », argumente Zhao. Un raisonnement économique qui a peu de chance de convaincre des gens qui, pour beaucoup, vivent depuis des années de la débrouille et n’ont aucun sens de l’entreprise.

Certains habitants manifestent leur opposition en boudant les produits issus de la ferme. « Je n’achète pas leur riz même s’ils le vendent un peu moins cher que le riz importé. C’est ma manière à moi de dénoncer leur présence », lance une restauratrice. D’autres critiquent la qualité du « riz chinois » qui tiendrait mal à la cuisson. Il n’empêche que tous les produits de Sino-Cam finissent par trouver preneur.

Manque de transparence

Au bout de trois ans, la présence des Chinois reste un sujet épineux à Nanga-Eboko. Son maire, Romain Roland Eto, avoue être « très embêté » chaque fois qu’il est sollicité pour en parler, « d’abord, dit-il, parce que la mairie et encore moins [mes] administrés n’ont pas été associés ou consultés avant la cession. » Et c’est là où le bât blesse. Au Cameroun, la cession des terres par l’État se fait en général sous le sceau du secret. Ce manque de transparence et d’information des populations riveraines ne peut qu’empoisonner dès le départ les relations entre elles et l’acquéreur.

L’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (ACDIC) va plus loin. Pour elle, ces cessions sont dangereuses et représentent une menace pour la souveraineté alimentaire du pays. « Lorsque des terres sont cédées aux nationaux d’un pays, je suis convaincu qu’ils n’importeront pas de main d’œuvre ni n’exporteront le produit de leurs récoltes. La production sera automatiquement écoulée sur le marché local. Avec les étrangers, Occidentaux, Chinois ou Indiens, nous n’avons aucune de ces garanties », dénonce Bernard Njonga, son président. L’ACDIC a organisé en juillet-août dernier des débats sur la question à Douala et Yaoundé et lancé un appel citoyen contre les cessions de terres aux étrangers.

Malgré cette opposition tous azimuts, un cadre du ministère de l’Agriculture et du développement rural, qui préfère garder l’anonymat, persiste et signe. « L’État pense à la population avant de prendre la moindre décision, assure-t-il, et l’arrivée des Chinois est une très bonne chose. Avec le temps, ceux qui se plaignent aujourd’hui s’en rendront compte. » La production de riz au Cameroun par les Chinois devrait, selon lui, contribuer à réduire les importations : 400 000 t par an pour une production locale de 50 000 t.

Reste une inconnue : le riz produit sur ces 10 000 ha restera-t-il au Cameroun ou sera-t-il massivement exporté vers la Chine comme le craignaient au départ les gens sur place ? « Nous allons vulgariser le moment venu les variétés très performantes que nous produisons dans tout le pays et même dans toute l’Afrique afin d’aider les populations locales à satisfaire leurs besoins alimentaires et augmenter leurs revenus », déclare Zhao qui promet que toute la production sera transformée ou commercialisée sur place, comme le mentionnerait le cahier des charges. Cette promesse suffira-t-elle à faire taire la méfiance des Camerounais alimentée par le manque de transparence ?

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Chinois au Cameroun : une incompréhension foncière

Cela fait maintenant trois ans que l’État camerounais a cédé 10 000 ha de terres agricoles à Sino Cam Iko, une multinationale chinoise spécialisée dans la production, la transformation et la commercialisation de produits agricoles. Son implantation s’est faite sur trois sites : deux dans le Centre (2 000 ha à Nanga-Eboko et 4 000 ha à Ndjoré) et un à l’Ouest à Santchou sur 4 000 ha).  Dès l’accord obtenu pour exploiter ces terres pendant 99 ans, les investisseurs chinois ont lancé des cultures expérimentales sur le riz, mais aussi sur le maïs et des fruits et légumes à Nanga-Eboko (170 km au nord-est de Yaoundé) et sur le manioc à Ndjoré (100 km de la capitale). Zhao, le directeur par intérim de cette société, se réjouit aujourd’hui des premiers résultats. « Ces deux zones sont propices à la culture de toutes sortes de variétés de riz, de maïs, de féculents et même de plantes maraîchères, à cause du climat, de la disponibilité de l’eau et de son sol très fertile ». L’essentiel des premières récoltes servira de semences pour les prochaines cultures. À Nanga-Eboko, une faible partie se retrouve cependant sur les marchés à un prix relativement inférieur aux mêmes produits importés.

Cette réussite agronomique, présente ou annoncée, ne suffit pas cependant à assainir le climat d’incompréhension qui règne entre Sino Cam et les habitants de la région qui l’accusent, entre autres, d’exploiter son personnel. La société emploie en permanence une dizaine de Chinois. On les voit au champ, occupés à désherber, labourer, repiquer, récolter… Quelques Camerounais, recrutés au coup par coup et payés à la journée, les assistent parfois. « Travailler pour ces gens, c’est travailler sans relâche sous le soleil, la pluie pendant huit à dix heures chaque jour pour 1 000 Fcfa », (1,5 €) se plaint un habitant de Nanga-Eboko. Moins que le SMIG fixé à 28 216 Fcfa (43 €) par mois au Cameroun.

« Interdit de toucher à la moindre papaye qui traîne, récrimine un taxi-moto qui n’a que brièvement travaillé dans cette ferme. Si vous êtes pris avec une poignée de riz dans votre sac, vous êtes conduit directement au commissariat pour vol. » Sino Cam se défend de toute exploitation. « Nous sommes encore en phase d’expérimentation et nous demandons aux ouvriers de travailler beaucoup pour gagner plus, mais ils préfèrent tricher. Ils disent eux-mêmes qu’ils sont là pour chercher de l’argent alors qu’il faut aussi penser travailler pour faire progresser l’entreprise », argumente Zhao. Un raisonnement économique qui a peu de chance de convaincre des gens qui, pour beaucoup, vivent depuis des années de la débrouille et n’ont aucun sens de l’entreprise.

Certains habitants manifestent leur opposition en boudant les produits issus de la ferme. « Je n’achète pas leur riz même s’ils le vendent un peu moins cher que le riz importé. C’est ma manière à moi de dénoncer leur présence », lance une restauratrice. D’autres critiquent la qualité du « riz chinois » qui tiendrait mal à la cuisson. Il n’empêche que tous les produits de Sino-Cam finissent par trouver preneur.

Manque de transparence

Au bout de trois ans, la présence des Chinois reste un sujet épineux à Nanga-Eboko. Son maire, Romain Roland Eto, avoue être « très embêté » chaque fois qu’il est sollicité pour en parler, « d’abord, dit-il, parce que la mairie et encore moins [mes] administrés n’ont pas été associés ou consultés avant la cession. » Et c’est là où le bât blesse. Au Cameroun, la cession des terres par l’État se fait en général sous le sceau du secret. Ce manque de transparence et d’information des populations riveraines ne peut qu’empoisonner dès le départ les relations entre elles et l’acquéreur.

L’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (ACDIC) va plus loin. Pour elle, ces cessions sont dangereuses et représentent une menace pour la souveraineté alimentaire du pays. « Lorsque des terres sont cédées aux nationaux d’un pays, je suis convaincu qu’ils n’importeront pas de main d’œuvre ni n’exporteront le produit de leurs récoltes. La production sera automatiquement écoulée sur le marché local. Avec les étrangers, Occidentaux, Chinois ou Indiens, nous n’avons aucune de ces garanties », dénonce Bernard Njonga, son président. L’ACDIC a organisé en juillet-août dernier des débats sur la question à Douala et Yaoundé et lancé un appel citoyen contre les cessions de terres aux étrangers.

Malgré cette opposition tous azimuts, un cadre du ministère de l’Agriculture et du développement rural, qui préfère garder l’anonymat, persiste et signe. « L’État pense à la population avant de prendre la moindre décision, assure-t-il, et l’arrivée des Chinois est une très bonne chose. Avec le temps, ceux qui se plaignent aujourd’hui s’en rendront compte. » La production de riz au Cameroun par les Chinois devrait, selon lui, contribuer à réduire les importations : 400 000 t par an pour une production locale de 50 000 t.

Reste une inconnue : le riz produit sur ces 10 000 ha restera-t-il au Cameroun ou sera-t-il massivement exporté vers la Chine comme le craignaient au départ les gens sur place ? « Nous allons vulgariser le moment venu les variétés très performantes que nous produisons dans tout le pays et même dans toute l’Afrique afin d’aider les populations locales à satisfaire leurs besoins alimentaires et augmenter leurs revenus », déclare Zhao qui promet que toute la production sera transformée ou commercialisée sur place, comme le mentionnerait le cahier des charges. Cette promesse suffira-t-elle à faire taire la méfiance des Camerounais alimentée par le manque de transparence ?

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Chemin de fer : un deuxième avenant pour quoi faire ?

Un débat en catimini –

Le second avenant en discussion concerne les investissements sur le chemin de fer entre 2009 et 2020.

Depuis quelque temps, des débats ont cours au sein de l’entreprise Camrail et de certaines administrations camerounaises sur la possibilité d’un avenant n°2 à la convention ferroviaire, près de dix ans après la privatisation du chemin de fer au Cameroun. 

Dans le cadre de cet avenant, l’Etat du Cameroun s’engage à financer, avec Camrail, les projets d’investissements majeurs du chemin de fer entre 2009 et 2020. Dans cet accord, il est prévu que l’Etat du Cameroun débourse un peu plus de 110 milliards de Fcfa, contre près de 130 milliards de Fcfa pour Camrail.
Au moment où les discussions ont cours, en catimini, pour l’entrée en application de ce projet d’avenant, des questions se posent sur les conditions dans lesquelles celui-ci va se faire. On remarque en effet que Camrail, entreprise privée, bénéficie de privilèges autrement plus importants que ceux de la défunte société parapublique. Comme l’indique une source, «il s’agira en réalité, d’un financement du riche par les pauvres».
En effet, la société Camrail, dans la prochaine configuration, ne prend pratiquement aucun risque. Ses risques et charges sont minimisés, car transférés à l’Etat, qui opère comme son assureur et financier. «Les dégradations majeures de la voie seront prises en charge par l’Etat, en plus,  sous le contrôle de Camrail», indique une source.
L’avenant n°2 prévoit notamment que les voies ferrées seront renouvelées avec des traverses métalliques. Ce qui semble arranger le concessionnaire (Camrail) au détriment de l’Etat du Cameroun. Car, le choix des traverses métalliques est au moins plus coûteux que celui des traverses bi blocs, utilisées actuellement.  Un spécialiste indique : «Il est important de noter que la technologie des traverses bi blocs est aujourd’hui avérée. Elles sont techniquement bonnes, très stables, très durables (autant sinon plus que les traverses métalliques) ; moins coûteuses (même si l’on intègre le coût de pose), et  elles sont dorénavant réparables. Par dessus tout, elles ont l’avantage qu’elles pourraient être faites sur place, et ainsi offriront des emplois aux Camerounais, en plus d’intégrer dans leur fabrication une bonne part d’intrants de l’économie nationale, notamment le ciment, le concassé, … tout en réduisant d’autant les matériaux importés comme le fer qui a connu une inflation importante ces dernières années, et de ce fait participe à l’évasion de l’argent gagné ici».
Mais, la principale question qu’on peut se poser est celle de savoir pourquoi un avenant n°2 à la convention ferroviaire, alors que le bilan des premières années de la concession faite à Camrail n’a jamais été fait. La question se pose d’autant plus que d’emblée, on ne voit pas le gain que le Cameroun tire de cette convention. Certains spécialistes approchés et au courant des tractations qui se déroulent en ce moment pensent même que ce qui se profile  l’horizon, au cas où le projet d’avenant n°2 est adopté, n’est rien d’autre qu’une «subvention massive d’un privé par l’Etat». Or, à l’époque, les privatisations ont été justifiées par la nécessité de mettre fin aux subventions accordées par l’Etat aux sociétés parapubliques comme la Regifercam.

Jules Romuald Nkonlak

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